Cette journée est sans doute l’une des plus riches en émotions qu’on ait vécu sur le voyage. Notre objectif : grimper jusqu’à 5033 m d’altitude. On est le 31 décembre… On veut finir cette année 2008 au sommet ! Malgré la difficulté, malgré l’angoisse, malgré le mal de l’altitude… On est gonflé à bloc mais on ne sait jamais comment on va réagir dans un effort pareil, dans des conditions extrêmes…
Tout commence à… 3730m d’altitude, à Kyanjin Gompa :
4:15
Nos paupières se lèvent. Mélange d’excitation, d’appréhension, d’angoisse, de sommeil et de regrets déjà, de quitter un lit qu’on a eu tant de mal à réchauffer…
4:35
On arrive à la cuisine pour le petit déjeuner. Devant le feu, on admire la préparation des chapattis, des momos. On se réchauffe auprès du poële. L’équipe est au complet. On essaie d’accumuler la chaleur pour la journée qui nous attend. Longue journée qui nous attend.
5:25
La file prend son envol pour les 5000m. Dans la nuit, un ballet rythmé de pas poussiéreux, illuminé de quelques lampes monte vers les sommets, vers les étoiles. L’expédition est en marche. On emmène avec nous des drapeaux de prières tibétains. On les déroulera au sommet. Si on monte, si on monte tous ensemble.
6:25
Le soleil illumine les sommets les plus hauts. Blanc sur bleu. Sommets blancs sur ciel bleu.
9:00
L’oxygène se fait rare. Les souffles sont entrecoupés. Les jambes ne se lèvent plus. La souffrance est dans chaque mouvement. On ne parle plus. La tête baissée, on se concentre sur chaque pas. On se concentre pour ne pas glisser dans la poussière. Le moindre faux pas nous pompe littéralement nos dernières ressources. Le paysage nous subjugue tellement que Lou ne peut s’empêcher de s’arrêter, s’accroupir, et repartir pour figer ses instants avec son appareil. Il me dira plus tard que son corps le regrettait à chaque fois, mais pas ses yeux…
9:30
Dernier arrêt avant le sommet. Les visages sont fermés, concentrés. Chris, Guillaume et Lou souffre mais semblent plus fort. En tout cas, ils le font moins paraître. Moi, je suis déjà épuisée physiquement, moralement, au bord des larmes, au bord de l’abandon… jusqu’au moment où Lou me propose : « si tu veux, tu restes là. On monte et on revient te chercher » à quoi je réponds : « non, hors de question, je monte avec toi, je suis pas montée jusqu’ici pour rien ! ». Il m’a redonné de la force. Il m’a ouvert les yeux : si tu ne veux pas avoir de regrets, monte ! Tu peux le faire !
10:15
A bout de force, on atteint le sommet. On atteint les 5033m !
Epuisement, larmes. On s’est surpassé physiquement, mentalement. On pleure comme des enfants. On l’a fait, ensemble, tous ensemble. On a accompli un rêve.
Après quelques minutes où on ne sait plus bien ce qui nous arrive, on regarde enfin autour de nous. On est entouré de sommets blancs, majestueux, à quelques centaines de mètres de nous seulement.
10:35
On puise dans nos dernières forces, on attache nos drapeaux de prières. On laisse une trace de notre passage ici. Au sommet de Tserko Ri. Amitiés, Chris, Guillaume, Lou et moi. On l’a fait!
11:10
Notre déjeuner ne nous étouffe pas. Notre appétit est inexistant malgré les efforts. L’un des signes du mal de l’altitude. On tripe sur les sommets, la hauteur, l’espace, l’immensité de l’air, de la terre. On est émerveillés. Le manque d’oxygène nous rend hypersensible : nos sens sont aux aguets.
11:20
On pensait être arrivés en atteignant le sommet… Mais on avait sous-estimé la descente. On l’entame dans la douleur. Interminable. Pleine de vertiges et de maux de têtes. On dévale des pentes d’herbes dévorées par le vent et le soleil. On traverse des éboulis qui donnent encore pus le vertige…
15:30
Ca c’est fait !
Après 10h de marche, on atterrit enfin au Lodge. On est absolument heureux… et absolument épuisés. C’est l’heure de la photo souvenir, avec toute l’équipe. Instants magiques, sensations éternelles.
16:00
Sieste. On a besoin de faire partir ce mal qui nous martèle le crane.
18:30
Début du réveillon. On est bien mal en point pour fêter dignement le début de la nouvelle année 2009. Mais on est heureux !
21:15
On fête la nouvelle année à l’heure japonaise, on aura pas la force de rester éveillés jusqu’à minuit, heure locale ! Une gorgée d’alcool hongrois, une gorgée de champagne polonais. Eclatés, heureux. 2008 s’achève par un exploit. 2009 s’amorce le coeur léger.